Il a écrit pour les plus grands : Gilbert Bécaud, Joe Dassin, Michel Fugain, Michel Sardou, Serge Reggiani, Nana Mouskouri… Il offre son concours et son expérience à de jeunes talents en devenir. Et le voilà qui conjugue son plaisir avec le nôtre en remontant sur les planches pour livrer, à sa façon, certaines des milliers de chansons dont il est l’auteur.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Très diverses : un dialogue ou simplement un mot entendu dans la rue, la silhouette d’une personne croisée. Certains, comme Michel Sardou, vous donnent un point de départ. À vous de trouver la suite ! Mais le principal, pour moi, est moins le sujet de la chanson que l’angle à partir duquel je vais la traiter. Intervient, enfin, la façon dont le public s’en saisit ou la reçoit : Salut les amoureux, chantée par Joe Dassin, raconte une rupture amoureuse, ça n’a pour autant pas empêché France2 de choisir cette chanson pour une séquence de son 13 heures de la Saint-Valentin 2022, tristement assombrie par le début de la guerre en Ukraine ! Si l’on ajoute à tout cela les « contraintes » que la musique impose, écrire une chanson est, au total, un vrai travail d’artisan exigeant beaucoup d’humilité.
D’où vous vient ce goût de marier ainsi texte et musique ?
J’écris depuis l’âge de 8 ans. J’ai fait un peu de guitare et de piano. Mes études m’ont conduit à faire khâgne, cette classe préparatoire de haut niveau en matière littéraire. Ce fut très dur, mais ô combien formateur ! J’écrivais alors de petits textes et les mettais en musique. Mes copains de khâgne les ont entendus. Ils m’ont inscrit à un concours. J’ai été sélectionné et, sur cet élan, j’ai sans doute eu la chance de rencontrer les bonnes personnes : Mireille et son Petit Conservatoire puis, plus tard, d’autres, à l’occasion des Relais de la Chanson Française qu’organisait le journal l’Humanité. C’est dans ces moments que j’ai rencontré Joe Dassin. Nous avions un même niveau d’études et des sensibilités très voisines. Nous avons fait plus de 30 chansons ensemble. Cela m’a donné l’occasion de rencontrer sa belle-mère, Mélina Mercouri, une grande et belle dame, un peu vamp, remarquable comédienne. J’ai écrit quelques chansons engagées à cette femme qui a su, par ailleurs, combattre et vaincre les colonels dictateurs de son pays, la Grèce, dont elle deviendra une grande ministre de la Culture.
Votre bibliothèque se partage entre livres de littérature et livres d’histoire. Cela explique-t-il l’humanisme qui transpire de vos textes ? Quelle cause pourrait aujourd’hui inspirer les paroles d’une chanson au citoyen-humaniste Claude Lemesle ?
Je suis historien de formation, l’histoire est ma passion. L’humanisme que vous m’accordez tient sans doute à ce que je donne plus d’importance à l’humain et au spirituel qu’au matériel. Cela m’a conduit à écrire à la fois des chansons qui mettent simplement de bonne humeur, ce ne sont pas les plus faciles à faire, et d’autres plus sérieuses et engagées, qui ne sont d’ailleurs pas celles qui ont eu le plus grand succès ! L’écologie me semble une cause urgente et impérative à mettre aujourd’hui en lumière, en débat. Donc en chanson ! La jeunesse y semble particulièrement sensible. Et pour cause, il s’agit de son avenir. Je crois que je vais récidiver en paroles sur cette question, en veillant à ne pas faire une chanson pontifiante. Qui suis-je pour dire tout seul ce qu’il faut faire ? En toute chose, le compagnon indispensable du talent, c’est l’humilité !
Lorsque nous avons pris rendez-vous pour cette rencontre, vous rejoigniez Bordeaux pour un travail d’écriture avec des étudiants de l’Université. Dans quel cadre ?
J’ai eu la chance de pouvoir vivre d’un métier improbable. Je considère qu’on est redevable à la vie de ce qu’elle vous a donné. Cela fait donc 30 ans que, bénévolement, je m’attache à transmettre mon expérience. J’ai commencé en 1988. Dix groupes existent, à ce jour, en France. J’y sollicite les participants, souvent de jeunes compositeurs interprètes, à partir d’un thème, d’un défi, comme par exemple écrire un texte sans adjectifs qualificatifs. L’objectif étant de casser quelques académismes. Je me réjouis d’avoir ainsi aidé quelques talents à éclore.
Ce soir, au Forum Léo-Ferré qui promotionne l’émergence de la jeune chanson française, vous renouez avec le tour de chant. Pourquoi cette passerelle intergénérationnelle ?
Cela fait déjà quelques années que m’a repris l’envie de gratter ma guitare devant un public. Peut-être pour proposer une lecture différente de mes chansons, que les gens connaissent, mais auxquelles le temps et le vécu donnent une écoute différente. Et c’est aussi l’occasion, pour moi, de mettre en lumière celles qu’ils ne connaissent pas et auxquelles je tiens. Je ne chante évidement que mes chansons. Beaucoup de chanteurs veulent assurer à la fois paroles, musique et interprétation. C’est très difficile. Lorsqu’on réussit un de ces trois challenges, c’est déjà très bien. « Tout seul on n’est pas assez », ais-je en son temps écrit dans l’excellent journal Chorus (Les Cahiers de la chanson), qui ne paraît malheureusement plus!
Propos recueillis par Pierre Corneloup
Claude Lemesle est président d’honneur du Syndicat national des auteurs et compositeurs. Il a été par deux fois président de la Sacem.
À lire ou relire :
L’art d’écrire une chanson, Claude Lemesle, réédité en 2010, éditions Eyrolles, 18,10 €.
Bécaud on revient te chercher, Claude Lemesle et Jacques Pessis, 2021, éditions l’Archipel, 18 €.
La vie de Madeleine Riffaud est un hommage à la résistance sous toutes ses formes et en toutes circonstances. Le 2ème tome de ses mémoires en images est paru ! Editions Dupuis